Les électeurs émettent des choix incohérents

Alliance royale electionC’est à n’y rien comprendre ! Dans toutes les démocraties, les peuples appelés à se prononcer sur leur avenir fournissent, la plupart du temps, des choix incohérents. Pour prendre l’exemple d’une république comme la France : les électeurs, ayant choisi en 2012 une majorité présidentielle et parlementaire socialiste élue sur un programme de dépenses budgétaires et d’action sociale accrues, n’ont eu de cesse, par la suite, d’approuver les effets d’annonce de ces gouvernants allant en sens contraire de ce pour quoi ils avaient été élus.

Que le Premier ministre propose de réduire les dépenses de l’État, de supprimer les doublons coûteux entre différentes administrations, de réduire le nombre de normes en vigueur, notamment dans le droit social, c’est-à-dire autant de propositions initialement issues de l’ancienne majorité, rejetée par les électeurs, ces derniers s’en trouvaient pourtant contents, avec la nouvelle. Alors pourquoi avoir rejeté l’ancienne ? Par haine d’un homme, on s’en souvient, Nicolas Sarkozy !

Mais c’est irresponsable ? Oui ! Par haine d’une personne et de l’image, superficielle, qu’il renvoie, les citoyens ont pris le risque de détruire une politique qu’eux mêmes ont approuvé par la suite et reconnu comme salutaire.

Passons sur le fait que ces promesses du nouveau gouvernement sont toutes restées lettres mortes, et notons un autre point : ayant accordé leur confiance à ce gouvernement en 2012, les citoyens n’ont eu de cesse de le désavouer dans les élections suivantes, en lui retirant des moyens de gouverner, et de rejeter toutes ses propositions de réforme, autrement dit de nier la valeur de leur propre choix. Ce qui était critiqué c’était l’augmentation des impôts, mais la politique généreuse, promise et approuvée par les élections, a pourtant un coût. Ce qui était critiqué également, c’était les réformes du régime matrimonial, ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de sexe identique, mais il s’agissait d’une promesse annoncée de longue date. En outre, une fois la pilule passée, la majorité populaire mécontente semble l’accepter. Il n’y a donc aucune continuité d’esprit dans cette contestation.

En somme, la majorité des citoyens a opéré en 2012 un choix qu’elle ne fut pas capable d’assumer par la suite, comme si celui-ci avait été incohérent.

Ce ne serait pas bien inquiétant si cette attitude n’était constante en France depuis 1981, date depuis laquelle aucune majorité n’a été reconduite. A vrai dire, le mal est plus ancien, puisque hormis la période courant de 1958 à 1981 qui fut d’une remarquable stabilité politique, l’alternance permanente court-circuitant les politiques en court est une constante française depuis… 1871. Un vice aussi vieux que la République en somme.

Le peuple français est-il fou ? Mais il n’est pas le seul concerné. En vérité, ce mal se retrouve presque partout, à des degrés divers. Chez nos voisins suisses, où la pratique démocratique est une tradition très vivante, grâce au référendum d’initiative populaire, la votation, le choix est à peine plus cohérent. Si une votation se prononce pour plus de protectionnisme, la suivante sera plus libérale, parfois dans le même domaine d’action. Cependant, à la différence du peuple français, les électeurs suisses ont une meilleure notion de leurs intérêts immédiats, prompts à des sacrifices parfois surprenants, refusant par référendum l’instauration d’un salaire minimum ou l’allongement de leurs congés payés, afin de mieux faire face à la crise économique mondiale en cours depuis 2008. En outre, leur stabilité parlementaire est exemplaire, depuis des décennies. Il sera temps, plus tard, de parler de cette stabilité de la démocratie suisse, fondée largement sur l’implication massive des citoyens dans des structures sociales organiques, comme les syndicats professionnels et les milices des cantons.

Il n’en reste pas moins que le choix du peuple suisse peut parfois surprendre. Hors ce cas, c’est presque partout la même folie. Aux ÉtatsUnis, plus grande démocratie du monde, les majorités durent peu, que leur politique soit appréciée ou non. Au Royaume-Uni, en 1990, Margaret Thatcher était remerciée, après onze ans de pouvoir, en dépit d’un succès évident, et aux élections de 1997, c’est son parti qui était vaincu malgré une excellente gestion. En Espagne en 2003, le peuple, en quarante-huit heures, annulait des années de bon gouvernement de M. Aznar, à cause d’une faute politique minime de sa part, attribuant des attentats au mauvais groupe terroriste, et portait au pouvoir son opposant.

En Belgique, les haines locales font préférer les intérêts particuliers au bien commun du peuple belge, alors qu’il est évident que les deux nations perdraient à la disparition de leur État.

La liste serait longue, qui montre que les peuples, sans réelle cohérence, demandent blanc un jour, pour mieux exiger noir le lendemain, condamnent autant les bons que les mauvais gouvernants. En somme, ils font ce que l’on pourrait appeler un choix d’alcoolique bipolaire…

Étonnamment, on observe que les politiques de fond des États varient peu malgré l’alternance des majorités. En France, par exemple, libéraux ou socialistes ont la même politique sociale et étatiste expansionniste depuis 1974 et le début du choc pétrolier, désengageant l’État de domaines stratégiques, notamment dans l’action économique, pour mieux assurer la pérennité des dépenses sociales. Aucune alternance politique n’a démenti cette ligne de conduite. Aux États-Unis, démocrates ou républicains, tous communient au même « laissez faire » en matière d’action de l’État, etc.

Qu’en conclure ? Que les groupes politiques sont, dans l’ensemble, d’accord sur l’essentiel, ce qui est rassurant en matière d’équilibre dans le gouvernement. Mais également, cela signifie que les choix radicaux des peuples sont peu écoutés par ceux-là même qui sont élus. C’est rassurant, en somme, à ceci près que cela s’effectue contre les principes mêmes du régime politique défendu par tous ces hommes. Faute de continuité dans le choix électoral, les administrations et les élites politiques ont pris un pouvoir considérable pour assurer les affaires courantes. En somme, la démocratie étant malade, ce sont des oligarchies, toutes sincèrement acquises, par ailleurs, aux valeurs de la démocratie, qui assurent le gouvernement quotidien.

A suivre …