Les temps modernes

Si l’époque des cadences infernales est révolue dans l’industrie, elle naît à l’Assemblée nationale et au Sénat et ce constat suscite quelques commentaires. Nos vaillants parlementaires sont débordés, épuisés, déprimés jusqu’à se sentir inutiles ; le train de sénateur n’est certes pas en grève et c’est même de TGV dont il est maintenant question. L’Assemblée nationale a dû fermer un samedi et le dimanche dans la continuité, pour que nos dépités se reposent sans être tentés d’y exceller et de s’y surpasser.

Il est vrai qu’avec plus de dix mille euros mensuels et de nombreux avantages, il faut travailler ; ceux qui exercent des responsabilités dans le privé le savent depuis longtemps. Et si toute peine mérite salaire, tout salaire mérite de la peine en proportion. Désorganisation, embouteillage législatif, travail de jour, de nuit, jusqu’à sept jours par semaine, le tout « en même temps » et au pas de charge, bref trop c’est trop. Et nous, bienheureux citoyens qui souhaiterions les voir occuper plus souvent les sièges du palais Bourbon, désespérément vides, accentuons ce sentiment de frustration.

Pour enrayer ce désespoir, un député du Haut-Rhin souhaite mettre un terme à la transparence de la vie publique, cause de tracasseries administratives, et relever leurs minima vitaux. L’argumentaire est prégnant : selon l’élu, les parlementaires devraient être mieux payés pour « lutter contre les tentations » comme la « corruption ». A croire que, si la rémunération du premier Ministre des finances du mandat précédent n’avait pas été limitée à sa compétence, il ne se serait pas enlisé dans la fraude et le mensonge. Citons aussi l’exemple de cette néo-députée qui, après ses débuts à l’Assemblée, s’est plainte de « manger pas mal de pâtes ». « Pas mal » ne signifiant pas forcément en quantité suffisante ? L’image de notre élue assise devant le palais Bourbon, dissimulant ses cernes et ses pleurs derrière l’écriteau « Je sors de commission, je suis fatiguée, je n’ai pas mangé, j’ai des électeurs à charge », serait insoutenable. Le budget annuel parlementaire représente quinze euros payés par chaque Français dès sa naissance. Qui peut vivre pour quinze euros par an ?

Mais à tout problème, des solutions. Si nos élus se plaignent d’une activité trop intense, l’idée première est qu’ils commencent à se délester de leurs autres mandats et fonctions – 80% de nos parlementaires sont concernés. Une autre piste consiste à limiter cette prolifération de lois inutiles, inapplicables et donc inappliquées, et les milliers de textes dilatoires, sans intérêt, qui les amendent. Avec plus de temps, on peut espérer aussi qu’ils participeraient plus souvent et plus activement à l’Assemblée et, pour s’en convaincre, il suffirait d’enregistrer leur temps de présence et de le rendre publique, de préférence avant le renouvellement de leur mandat.

Indemniser une contrainte ne la supprime pas; aussi pour s’assurer que nos parlementaires ne succombent pas à la corruption, il suffirait d’être plus vigilants, de renforcer les contrôles, notamment sur leurs frais, et, en cas de dérives, de les démettre de leurs mandats, en préalable à toute autre sanction.

Réclamer une prime pour être ou devenir honnête, relève de la provocation, de l’inconscience, ou des deux. Certains de nos élus devraient faire preuve de réserves, cesser de mordre la main nourricière et se rappeler que leur premier devoir est celui de l’exemplarité.

Bientôt les vacances parlementaires. Juillet passé, il n’y a plus de raison de redouter le « burn-août » !

Philippe Nourrisson