L’intelligence artificielle au secours de la démocratie : un délire… voire ?

Connaissez-vous Parcoursup ? C’est le nouveau logiciel de gestion des inscriptions post-bac. Il a remplacé les méthodes traditionnelles consistant pour les élèves à envoyer leur candidature aux universités et classes préparatoires de leur choix. Parcoursup centralise toutes les demandes dans une énorme moulinette et recrache les admissions, les listes d’attente et les refus. Cela marche tellement bien que les établissements sont obligés de rattraper les absurdités sans nombre pour récupérer en douce les élèves qui les intéressent.

Cela rappelle d’autres tentatives de ce genre, par exemple le combat info-centré, ou, en anglais, « Network Centric Warfare », des années 2000. Il s’agissait de récupérer dans une grosse machine, via le réseau du champ de bataille, tous les renseignements émanant des drones, des observateurs d’artillerie, des radars de surveillance, etc., de traiter l’information ainsi recueillie et de la redistribuer à ceux pour qui elle était pertinente : une compagnie d’infanterie, par exemple, n’a pas besoin des mêmes informations qu’une escadrille d’hélicoptères. Au résultat, personne n’avait ce qu’il lui fallait et le NCW a plus ou moins fait long feu.

On pourrait trouver d’autres exemple dans le domaine de la santé, de la sécurité publique, de l’aménagement du territoire, que sais-je encore. A chaque fois, de gros ordinateurs sont censés trouver les meilleures solutions selon des paramètres fixés à l’avance et, le mieux, nous dit-on, c’est que ce genre de systèmes est « auto-apprenant »..

Vous l’avez compris, nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère de « l’intelligence artificielle ». Cela repose sur un dogme : la machine sera capable, à terme, de remplacer l’intelligence humaine. Pour commencer, on prétend que l’homme n’a pas d’esprit, mais seulement un cerveau plus évolué que les animaux. Pour les paléo-anthropologues, comme Yves Coppens, c’est la taille du cerveau qui rend possible la pensée. Mais ils n’expliquent pas pourquoi une souris est plus intelligente qu’une vache, alors que son cerveau est minuscule. Surtout, ils n’expliquent pas comment les pré-hominidés, à mesure que leur boite crânienne grandissait, ont soudainement pris conscience qu’il y avait un lendemain à chaque jour, qu’ils pouvaient anticiper l’imprévu et que la mort était une fin, ou peut-être un commencement. Bref, la capacité d’abstraction serait née de l’augmentation de leur volume cérébral. Alors, pourquoi pas les machines ? Aujourd’hui, elles en sont peut-être à l’âge des cyber-australopithèques et, demain, elles atteindront le stade des cyber-sapiens. Rien ne les empêchera alors de penser à la place des humains. Alors, pas de doute que Parcoursup et NCW pourront enfin accomplir ce qu’on attend d’eux. Ce sera beau, l’intelligence artificielle.

Dans le même temps, les homo-sapiens que nous sommes vivent dans l’ère de l’image, de l’immédiateté, de l’émotion, du « scoupe ». Plus d’analyse, ni de profondeur, plus…d’intelligence. Petit à petit, le monde moderne tend à nous faire agir par instinct, envie ou émotion, comme des animaux en somme. Donc, d’un côté, des super-ordinateurs qui régleront tous les problèmes compliqués grâce à leur intelligence artificielle et, de l’autre, des masses humaines qui travailleront et consommeront sans intelligence humaine. Autant dire que les visionnaires et les défenseurs de cette idée de paradis se voient, eux, plutôt derrière les claviers des super-ordinateurs.

Bien entendu, ce n’est qu’une vue de l’esprit, un délire, parce que l’intelligence artificielle ne sera jamais qu’artificielle et qu’elle se cantonnera à recracher des données traitées selon des algorithmes, sans aucune créativité, sans aucun sens de l’abstraction, sans aucune sensibilité. Des machines. Et l’intelligence humaine sera toujours celle de la pensée ; les peuples n’ont pas dit leur dernier mot.

Mais tout de même, l’école et les médias abrutissent les masses à grands coups de méthode globale et d’images sensationnelles ; les technocrates sortent de super-progiciels supposés tout gérer, tout ce beau monde rêvant d’intelligence artificielle. Il y a de quoi s’inquiéter. Et, comble du paradoxe, on nous explique que la démocratie est et restera le meilleur système de gouvernement, tout en déplorant que les peuples versent dans le populisme émotionnel.

Alors, je propose une solution : puisque le peuple n’est plus capable de comprendre ce qui est bon pour lui, pourquoi ne pas sauver la démocratie en confiant à l’intelligence artificielle le soin de choisir les gouvernants ? Un bon progiciel d’élection, dans un ordinateur de la famille des cyber-sapiens, avec un gros cerveau et pleins de paramètres compliqués, ce serait plus raisonnable qu’un troupeau de consommateurs affublés d’une carte électorale, non ?

Je suis persuadé que certains technocrates y ont déjà pensé. Et, d’ailleurs, ne parle-t-on pas de donner des droits à des robots ? Voyez, on n’en est pas loin. Le post-humanisme auquel nous assistons est devenu complètement fou, avec la complicité béate de nos concitoyens qui sont, comme disait Léon Daudet, « des oies qui manifestent en criant « Vive le foie gras » ». Alors préparons nous, car « Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre » : ce délire aura une fin et, à ce moment-là, un roi, pourquoi pas ?

Bruno Castanier